LES HARENGS DORÉS - 70 x 70

Lorsqu’il découvrit ces poissons aux reflets d’or alignés sur ce papier journal, il n’imagina pas un instant qu’ils seraient désormais son goûter de sortie d’école à chaque fois que sa grand-mère viendrait le garder. Celle-ci se fit fort de convaincre son petit-fils de leurs qualités tant nutritionnelles que gustatives. Après quelques bouchées hésitantes, le jeune garçon se rallia vite à son avis et les harengs dorés devinrent donc leur rituel dès qu’il avait posé son cartable sur une chaise et qu’ils se retrouvaient tous les deux à la table de la cuisine.

Alain Rouschmeyer explore le souvenir de l’enfance dans cette scène de genre originale. Le point de vue en hauteur donne une dimension cinématographique à l’oeuvre. Le spectateur est le témoin de cet échange entre deux générations, une grand-mère et son petit-fils. La toile combine l’art du portrait et de la nature-morte. Un rituel autour de la table est instauré, on  partage le pain et le poisson. La symbolique est forte presque religieuse. C’est un moment d’initiation entre un jeune garçon et une personne âgée que l’artiste parvient à fixer. Il s’agit peut-être d’un souvenir personnel du peintre qu’il convoque dans sa toile. La fameuse Madeleine de Proust prend ici une saveur plus salée. Le sac d’écolier posé sur la chaise annonce le début du goûter. C’est le déclencheur du rite épicurien et il est représenté deux fois avec des perspectives distinctes. Alain Rouschmeyer donne une dimension surnaturelle par ce procédé technique. Il s’agit peut-être d’un mécanisme lié à la mémoire. Les pièces d’un puzzle s’assemblent sous nos yeux pour former une image claire d’un souvenir évanescent. L’artiste nous invite à voir plus loin et nous questionne sur la persistance de la mémoire. Que reste-il de notre enfance ?

Andréas ALBERTI - Auteur, critique d'art, journaliste spécialisé - juillet 2022