Les premiers traits du regard
Avant le geste, le silence du papier
Avant que la toile ne s’impose, il y a toujours un moment silencieux. Ce temps suspendu où le papier attend, où la main hésite, où le regard cherche encore sa justesse. Le croquis naît souvent de cette hésitation : un instant de concentration où le monde se simplifie pour devenir ligne, ombre ou vibration. C’est dans ce face-à-face intime entre la main et la lumière que le regard prend sa véritable forme.
Je n’ai jamais considéré le croquis comme un simple exercice préparatoire. Il est un acte de compréhension. Il ne s’agit pas de reproduire fidèlement ce que l’on voit, mais d’en capter l’essence, de retenir ce qui nous touche avant que l’œil n’analyse. Le dessin devient alors une manière d’écouter — écouter la posture d’un corps, la tension d’un mouvement, la fragilité d’une lumière. C’est une étape essentielle de ma démarche artistique, celle où le regard cherche avant de comprendre.
Le croquis : la première écoute du monde
Certains croquis naissent d’une observation directe, d’autres d’un souvenir ou d’une émotion restée en suspens. Tous ont en commun cette fragilité : ils ne cherchent pas à plaire, ils cherchent à dire. Le papier devient une surface d’écoute, un lieu où l’idée s’incarne sans détour. Les lignes s’y croisent, parfois maladroites, souvent sincères, mais toujours porteuses d’une vérité immédiate.
Je crois profondément que le croquis est une forme d’humilité du regard. Il ne triche pas. Il traduit la main, le souffle, la vitesse d’une pensée qui s’organise. C’est une étape où tout peut encore basculer : la justesse du geste, l’équilibre de la composition, la respiration de l’espace.
Les outils du geste
Dans mon atelier, les crayons, les stylos, les encres et les papiers sont autant de compagnons de route. Chacun possède sa personnalité : le Bic bleu glisse avec douceur et laisse une trace légère, presque nostalgique ; le fusain, lui, impose son grain et son intensité dramatique. Le papier, selon sa texture, absorbe ou résiste.
Ce dialogue matériel est essentiel : il conditionne la nature même du trait. Un simple changement d’outil modifie le rythme du dessin, comme si le regard se réaccordait à un tempo différent. C’est là que commence le plaisir du dessin — dans cette alliance subtile entre maîtrise et imprévu.
Pour celles et ceux qui souhaitent explorer cette approche du geste, je propose également une sélection de livres et cours de croquis où je partage mes outils, mes méthodes et mes observations d’atelier.
Le passage du croquis à la toile
Je me souviens du premier dessin qui a inspiré Grain de beauté . Une simple silhouette tournée vers l’eau, à peine esquissée. Le trait était léger, presque incertain, mais il contenait déjà tout : la solitude du moment, la douceur de la lumière, la retenue du geste. Ce croquis est resté sur ma table plusieurs jours avant que je n’ose le traduire sur la toile. Ce fut une métamorphose douce, fidèle à la première impression.
Le passage du papier à la toile n’est jamais une simple copie. Il s’agit plutôt d’une transformation émotionnelle. Ce que le dessin évoquait devient matière, couleur, rythme. La lumière se déploie, les ombres respirent. L’œuvre prend alors une dimension nouvelle : elle quitte l’intimité du carnet pour entrer dans le monde visible.
L’œuvre associée : Grain de beauté – Acrylique sur toile, 100 x 100 cm.
Les carnets de l’atelier
Dans mon atelier, les carnets de croquis s’accumulent. Certains serviront un jour de point de départ à une œuvre, d’autres resteront des confidences de papier. Mais tous participent d’un même langage, celui du regard en construction.
Ces carnets sont mes archives silencieuses. J’y retrouve des visages esquissés, des postures oubliées, des fragments de lumière que je n’avais pas su comprendre sur le moment. Ils me rappellent que peindre, c’est avant tout observer le temps passer. Chaque page témoigne d’une étape du regard : l’apprentissage, la surprise, l’erreur, la révélation.
Le dessin, maître du regard
Au fond, le dessin m’apprend à voir.
Il me rappelle que tout commence par une ligne et que cette ligne contient déjà le monde.
Le croquis n’est pas un brouillon : c’est un alphabet visuel, la grammaire d’une émotion.
C’est peut-être la part la plus sincère de mon travail. Là où la main n’a pas encore tout contrôlé, où la pensée se fait geste, et où l’intuition prend la parole avant la raison.
Le dessin est la structure invisible de la peinture. Il offre à la couleur son espace, à la lumière sa direction, et au figuratif sa cohérence. Cette approche trouve aussi un écho particulier dans mes projets d’art en entreprise, où la présence picturale devient un langage dans l’espace de travail.
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FOIRE AUX QUESTIONS
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Parce que le croquis garde la mémoire du premier regard. Il conserve la spontanéité du geste et la trace du moment avant que la réflexion ne vienne l’interrompre.
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Le dessin est la structure invisible de la peinture. Il offre à la couleur son espace, à la lumière sa direction, et au figuratif sa narration.
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Peu importe l’outil, pourvu qu’il soit fidèle à votre geste. J’aime le Bic bleu pour sa liberté, le graphite pour sa justesse, et le fusain pour sa puissance. Chaque médium révèle une nuance du regard.
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Parfois il disparaît, parfois il reste. Certains deviennent des repères, d’autres des souvenirs. Mais tous gardent la trace de l’émotion initiale — celle qui précède la peinture.
Conclusion : apprendre à voir
Dans ce dialogue permanent entre la main et la matière, il y a toujours une forme d’émerveillement.
Le croquis n’est pas la préparation de la peinture : il en est la source, la première pulsation, celle où tout commence.
Retrouvez d’autres réflexions dans La Lettre de l’Atelier, où chaque texte explore le lien entre regard, geste et matière.
L’artiste travaillant sur l’oeuvre “La fille u bord du Lac”